Le microbiote intestinal n’a pas fini de nous surprendre. Dans une nouvelle étude menée par des chercheurs de l’Inserm, de l’université et du CHU de Toulouse[1] au sein de l’Institut de Recherche en Santé Digestive (Inserm/INRA/Université Toulouse III – Paul Sabatier, ENVT), le mode d’action d’une bactérie probiotique utilisée dans le traitement symptomatique des douleurs du syndrome de l’intestin irritable est dévoilé. La bactérie produit un neurotransmetteur (le GABA) qui grâce à sa liaison avec un lipide, passe la barrière intestinale, agit sur les neurones sensitifs situés au niveau du ventre et réduit la douleur viscérale. Cette nouvelle famille de molécules associant lipoprotéine et GABA pourrait être utilisable comme médicament antidouleur. Ces travaux sont publiés dans la revue Nature Communication.
Le syndrome de l’intestin irritable est une maladie chronique caractérisée par des douleurs abdominales associées à des troubles du transit. Cette pathologie est hautement invalidante et diminue drastiquement la qualité de vie des patients. Face à ce syndrome, le patient reste démuni, car il n’existe pas de traitement vraiment efficace pour cette pathologie qui, en France, concerne 5% de la population.
La bactérie Echerichia coli Nissle 1917[2], probiotique découvert pendant la première guerre mondiale, a récemment été utilisée par voie orale comme traitement thérapeutique alternatif du syndrome de l’intestin irritable. L’approche thérapeutique par les probiotiques connaît un engouement étant donné le caractère « naturel » et l’absence supposée de toxicité de ces produits. Il n’en demeure pas moins qu’il est nécessaire de comprendre les bases moléculaires de leurs propriétés thérapeutiques. La recherche dans ce domaine veille et s’interroge sur l’origine des facteurs bactériens qui régissent ces activités probiotiques et le bien-fondé de leur utilisation.
C’est dans cette optique que les chercheurs ont développé un projet visant à caractériser l’activité probiotique de la souche E. coli Nissle 1917. Leurs travaux démontrent que cette bactérie produit du GABA (acide gamma aminobutyrique) lié à un acide aminé et à un acide gras. Ensemble, ces trois molécules forment un lipopeptide. La liaison de cet acide gras par la bactérie permet au GABA qui est le principal neurotransmetteur inhibiteur du système nerveux de pouvoir passer la barrière intestinale. Il peut ensuite se fixer sur son récepteur pour diminuer l’activation des neurones sensitifs et ainsi diminuer la douleur. Le GABA n’a en revanche pas la capacité de franchir, seul (sans son acide gras), la barrière intestinale.
Une fois le lipopeptide identifié et caractérisé, des premières expériences ont d’abord été menées sur des neurones sensitifs de souris en culture. L’exposition de ces neurones à la capsaicine (le produit actif du piment) entraîne une augmentation des flux de calcium caractéristiques de leur hypersensibilité, par rapport aux neurones contrôles. Ces changements de flux calciques ne sont pas retrouvés chez ces mêmes neurones prétraités par un ajout de lipopeptide de synthèse au milieu de culture.
Ces mêmes expériences ont ensuite été conduites sur des souris chez lesquelles des électrodes posées sur l’animal permettaient de mesurer l’intensité des contractions abdominales caractéristiques de la douleur (l’équivalent des crampes d’estomac chez l’homme). Dès lors qu’elles ingéraient le lipopeptide de synthèse, les souris hypersensibles retrouvaient des contractions abdominales équivalentes à celles des souris contrôles.
Cette étude a permis de breveter une nouvelle famille de molécules pouvant être utilisables comme médicaments antidouleur. « Ces dernières ne modifiant pas la physiologie ni la motilité intestinale, on peut également espérer qu’elles entraîneraient moins d’effets secondaires que ceux provoqués par la morphine par exemple. Ceci devra bien entendu être validé par de futurs essais thérapeutiques », déclare Nicolas Cenac.
Cette découverte démontre l’importance d’une meilleure connaissance des modes d’action des probiotiques actuellement utilisés et le potentiel thérapeutique des lipopeptides produits par le microbiote intestinal.
Ces travaux ont fait l’objet du dépôt d’une demande de brevet par Inserm transfert.
[1] Associant une équipe de physiopathologistes et une équipe de bactériologistes de l’Institut de Recherche en Santé Digestive (IRSD) de Toulouse (Inserm/INRA/Université Toulouse III – Paul Sabatier, ENVT) et des équipes de chimistes de l’institut des biomolécules Max Mousseron de Montpelier et du réseau Metatoul de Toulouse
[2] Du nom du médecin allemand Alfred Nissle qui avait isolé cette souche des selles d’un soldat de la Première Guerre mondiale, qui était le seul de son unité ne souffrant pas de dysenterie.
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